Sunday, February 14, 2010

Haïti: Seul l'État haïtien a la légitimité pour faire la promotion de l'intérêt national.



Montréal 12 février 2010

Cher ami,

Sous prétexte que l'État haïtien est corrompu, ce qui est vrai, on décide de le mettre à l'écart et de remettre la responsabilité du développement du pays, en pièces détachées, à des ONG. Ce que l'on ne dit pas, c'est que, de 1957 à 1986, les années d'ancrage de la corruption en Haïti, les Tontons Macoutes et plus tard les Léopards, les bras armés de la corruption, étaient équipés et entrainés par des militaires américains. Si Duvalier a résisté aux multiples tentatives d'invasion et de renversement, ce fut grâce à l'aide logistique et aux armes fournies par ce grand voisin qui avertissait toujours le gouvernement haïtien des préparatifs des opposants à l'extérieur, de leur nombre et de leur lieu de débarquement. Si Duvalier s'est maintenu si longtemps, c'est parce qu'il a su manoeuvrer pour obtenir l'appui décisif des États-Unis et que, de leur côté, ils avaient décidé de le maintenir au pouvoir, en dépit et au détriment de la volonté de la majorité du peuple haïtien, même s'ils ne se gênaient pas pour critiquer ouvertement la corruption du régime de Papa Doc et de Baby Doc.

Alors on a vu alors le pays envahi par les ONG. Haïti est devenue le paradis des ONG. Certaines sources disent avoir recensé près de 10000 qui opèrent dans différents domaines habituellement réservés à l'État. Ils opèrent dans un « free for all », enregistrés nulle part, parfois sans permission officielle, sans coordination aucune. Ils disposent souvent de moyens financiers énormes qui dépassent certes le budget du gouvernement haïtien dans leur champ d'activité. Ils pouvaient ainsi drainer les meilleures compétences de l'administration publique haïtienne, attirées par de meilleurs salaires. Les cadres haïtiens embauchés vivaient généralement bien et les coopérants expatriés menaient la grande vie dans des hôtels de luxe, avec parfois week-end en République dominicaine, grâce à leur salaire et leur per diem juteux.

Ils opèrent sans contrôle, sans aucune éthique professionnelle, ne relevant que de leur bureau chef en dehors du pays, sans aucun engagement moral envers la population. Il leur est arrivé de plier bagages en plein milieu de projet en disant : « Nous n'avons plus d'argent ! » Les cadres haïtiens arrivaient le plus souvent à se caser ailleurs, à cause de leur compétence qui les rendait pratiquement incontournables. Mais, les supposés bénéficiaires du projet, souvent des paysans, étaient laissés pour compte, bafoués sans explication, sans compensation pour leurs pertes. Ces ONG sont en grande partie responsables de la faillite actuelle de l'État haïtien qu'ils ont rendu insignifiant.

Après un demi siècle de ce régime, Haïti est aussi pauvre, le plus pauvre, le plus appauvri des Amériques....

Haïti fait maintenant l'objet des préoccupations internationales. On parle abondamment de la reconstruction d'Haïti après la catastrophe du dernier séisme. Certains proposent même un plan Marshall pour Haïti. Il est bon de rappeler que le plan Marshall n'était pas destiné à remplacer les États européens en désarroi. Il reconnaissait, dès le départ, que tout redressement devrait venir de l'Europe et que les États-Unis ne se contenteraient que d'apporter une aide amicale aux différents États, pour l'établissement d'un programme européen. Ce qui a été fait avec le succès que l'on connaît. Sans comparer l'Europe d'après guerre avec Haïti, la philosophie de l'approche devrait être la même.

Seul l'État haïtien a la légitimité pour faire la promotion de l'intérêt national.

Le partenariat proposé, les opportunités d'affaires que l'on fait miroiter ne devraient se faire qu'avec le gouvernement d'Haïti. L'objectif n'est pas d'enrichir les intervenants, mais d'accroître le revenu national du pays haïtien. On attend de la communauté internationale un rôle d'accompagnement soutenu pour que cette aide dont on parle ne soit pas un saupoudrage humanitaire palliatif. Le progrès social est tributaire davantage de l'abondance que de la justice. Une relative aisance économique permettra une meilleure intégration sociale, une plus grande solidarité sociale, et un fonctionnement plus démocratique des institutions sociales et politiques. Voila résumé le résultat attendu de l'aide à Haïti, par delà du tapage publicitaire qui l'entoure actuellement. De l'autre côté, l'expérience et la leçon du tremblement de terre devraient enfin faire prendre conscience à la population haïtienne qu'ils sont tous dans le même bateau, quand ce dernier coule, personne n'est à l'abri, riches ou pauvres, tous ont été également frappés directement ou indirectement par le séisme.

Le développement d'Haïti se fera avec l'État haïtien ou il n'y aura pas de développement. La direction stratégique des opérations de reconstruction doit être confié et relevé de l'État haïtien, avec certainement une assistance technique étrangère, là ou le besoin se fera sentir, à commencer par un renforcement obligatoire de l'autorité de l'État dans ses fonctions régaliennes. Sans le gouvernement haïtien aucun projet de développement ne sera durable. L'État haïtien, malgré les faiblesses que l'on connaît et que l'on déplore, que l'on a pu mesurer encore lors du récent séisme, est la seule instance légitime capable de coordonner une reconstruction, au bénéfice de toute sa population.

Toute intervention et progrès initiés par des ONG, ou toute autre institution étrangère, ne peuvent être que circonscrits, localisés et fugaces, condamnés à disparaître avec la cessation de leurs activités. Nous le savons tous, nous en sommes convaincus car nous l'avons vécu et constaté. Les exemples ne manquent pas.

J'interpelle ici les amis québécois, surtout ceux qui se préparent pour intervenir en Haïti, en leur rappelant, que dans un contexte différent, c'est l'État québécois qui a été l'initiateur et le moteur de la Révolution Tranquille. Si on peut mettre des noms à ceux qui furent à l'origine de cette révolution, ces hommes et ces femmes ont été des membres du gouvernement, des agents de l'État, qui ont pensé un nouveau Québec, qui ont eu l'audace de tracer les grandes orientations et se sont servis des leviers de l'État pour les mener à terme. Il est aussi vrai, et il le faut le dire vite, que le Québec avait les ressources nécessaires pour soutenir ce virage révolutionnaire. Ce qui n'est pas le cas d'Haïti. Mais toute proportion gardée, il revient cependant à l'État haïtien d'être le maître d'oeuvre de toute reconstruction du pays.

On dit que la France a promis de reconstruire le palais national dans son état antérieur. C'est un bon début. Le palais national est pour l'Haïtien un symbole puissant de l'État et l'État a besoin de symbole pour exister ! Il est à souhaiter que ce geste indique l'intention de ce pays, avec son nouveau président, de sortir de sa timidité habituelle dans ses relations avec Haïti. La France a une dette morale envers Haïti dont elle ne peut plus se dérober ! Qu'elle accepte le leadership moral qui lui revient , avec évidemment les États-Unis d'Amérique, pour entraîner avec eux l'Europe et le reste du monde, pour remettre à Haïti ce qu'elle a apporté à l'humanité et qu'elle a payé très cher !

Kenbe fo

Frantz Douyon
Montréal

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