Saturday, December 12, 2020

La vérité de Loft Story enfin révélée par son créateur.

J’ai écrit ce texte en novembre 2003, juste avant la fin de Loft Story. Cet essai devait être publié dans le défunt journal La Presse. Plus de 17 ans plus tard, je le partage avec vous. Je vous laisse juger aujourd’hui de sa pertinence cultuelle, sociale, artistique et historique. 


J’ai inventé une nouvelle écriture télévisuelle.

J'écris ces mots parce qu'ils doivent vivre. J'écris parce que, comme créateur, j'ai le besoin de m'exprimer. J'écris parce que je pense que mon expérience doit être partagée. J'écris, parce qu'après toutes ces années d’angoisse, il est temps pour moi de me lever debout et d’accepter ce que je suis. Sans avoir peur, que j’assume, en toute humilité, ce que j’ai réalisé. Si je n’écris pas, je sens que jamais je n'existerai. Alors voilà pourquoi j’écris, pour exister.


Depuis je ne sais plus combien de semaines, je raconte une histoire, celle de 6 gars et 6 filles. Tous célibataires, ils vivent dans un loft, sans aucun contact direct avec le monde extérieur. 24/7, 20 caméras captent leur vie. 


Par la technologie, leur corps de chair se transforme en une matière numérique. Des fragments d'existence deviennent des fichiers informatiques qui s’acculent à l’infini sur des disques durs. Sans arrêt, leur vie s’enregistre, pendant que moi, je me laisse happer par toute cette émotion brute. Cette masse d'information se transforme, par la magie de la création, en une histoire qui est diffusée quotidiennement à la télévision.


J'ignore ce que vous pensez de cette histoire que je raconte, mais elle vous touche sûrement. A chaque jour, on m'a dit que vous étiez plus d'un million à la regarder. Ces chiffres me bouleversent. Ce succès populaire n’est sûrement pas le fruit du hasard. Est-ce à cause de moi et de ma créativité? De l'efficacité de mon monteur Eric Ruel? De la cohésion de mon équipe? De la vision de ma productrice Sonya Thériault? De l'audace de Luc Doyon et de TQS? De la personnalité des lofteurs? De la force du concept Loft Story? Ou est-ce simplement le phénomène planétaire de la télé-réalité qui se manifeste ici aussi au Québec? Je pose la question, je n'ai aucune idée de la réponse.


Depuis le début de la production, je ne vis plus dans la réalité de la vie quotidienne. Pour ma santé mentale, pour l'expérience extraordinaire et pour ne pas être influencé par les médias, le peuple et le premier ministre, j'ai coupé le contact avec le monde réel et j'ai plongé dans un univers qu'aucun québécois avant moi n'avait plongé. Un univers fascinant où la frontière entre la réalité et la fiction se redéfinie sans cesse. Une zone étrange où des êtres humains se sont transformés, sans encore le savoir, mais avec leur consentement, en des personnages de téléromans. Un téléroman si près de la réalité ou une réalité si près d’un téléroman, qu’après le visionnement de chaque épisode, je suis toujours en état de choc. Comment dans le processus créatif de la télé-réalité, des gens ordinaires, sans talents particuliers, peuvent-ils se dématérialiser à un point tel, que pour moi, ils n’existent plus que dans mon imaginaire. 


Samuel, Hugues, Brigitte, Julie, Mélanie sont devenus mes personnages que je donne vie à chaque nuit. Je les regarde dormir, manger, parler, se brosser les dents et parfois, au confessionnal, à travers un micro et une caméra, je les questionne. C’est à chaque fois hallucinant. Dans la vraie vie, Fabienne Larouche ne parle pas à Virginie. Virginie n’existe pas. C’est un personnage. Une création de son auteur. C’est de la fiction. De la télévision. Dans Loft Story, moi, je parle avec mes personnages et ils n'existent plus que dans ma tête. 


Ce ne sont plus les êtres humains que j'ai rencontré lors des journées de casting. Ils sont devenus des personnages interactifs. Je les regarde vivre leur vie dans le loft à travers une multitude d'écrans et je suis maintenant incapable de les analyser sans ce filtre. C'est trop étrange. J'ai peur de les regarder à travers les miroirs du loft. J'ai peur de basculer. De ne plus être capable de créer. S'ils vivent et existent dans ma tête, comment peuvent-ils être là, tout à côté, derrière ce décor?


Je vis avec eux. Impossible de se détacher des personnages et de leur histoire. La charge émotive est trop intense. C’est la vie d'hommes et de femmes qui me traverse l'âme, le coeur, la tête et le corps. C’est mon Polaroïd, mon interprétation de ce qui a été vécu. Aujourd'hui. Maintenant. Loft Story, c’est nécessairement aussi ma réalité parce que se sont mes émotions qui sont touchées.


Comme artiste, j'expérimente un nouveau modèle de création, dans un espace hyper dynamique où le cadre est totalement vierge. J'écris, non pas avec des mots, mais avec des images. Pour moi, la télé-réalité, la vraie, celle de Loft Story, est une nouvelle écriture télévisuelle, inventée par une nouvelle génération de créateurs. C'est une évolution du médium et de son langage, dans un format qui mélange les genres: dramatique, documentaire, variétés et information. Le format est différent mais l'objectif demeure le même: divertir en sollicitant les émotions des téléspectateurs.


Loft Story émerge comme une nouvelle forme de télévision, troublant miroir de notre société. Est-ce que c'est nuisible pour l'humanité? Ce n'est pas à moi à répondre à cette question.


Avec cette expérience, nous franchissons une nouvelle frontière dans la création contemporaine populaire. Dans Loft Story, le processus créatif est toujours en mouvement et l'oeuvre n'est plus contrôlée par son auteur. Ce n'est plus l'oeuvre qui est au service de l'auteur mais bien l'auteur qui est au service de l'oeuvre. Dans Loft Story, je n'ai aucun contrôle sur mes personnages. Ils font et disent ce qu'ils veulent. Avec leur quotidien, c'est à moi de construire l'histoire la plus forte, la plus significative, la plus émotive. Celle qui est la plus porteuse de sens et qui reflète le plus fidèlement possible la réalité du Loft.


La télé-réalité, dans le concept Loft Story, est un processus de création en direct. Comme un guitariste jazz qui improvise sur des accords, j'improvise et créer l'histoire à partir de la vie des lofteurs. Ma matière n'est plus la musique mais des êtres humains. A chaque jour, je suis aussi comme un DJ qui composent avec ses vinyles durant sa performance. Je dois structurer un récit de 18 minutes avec 2 500 minutes de contenu. Pour faire un sens quotidiennement, la démarche artistique ne peut donc qu'être sérieuse. La réflexion rigoureuse, intense et organisée. L'intention chargée d'amour et d'émotion. Plus encore, elle doit être pure. humaine. novatrice. expérimentale. alternative.


L'histoire qui se déroule devant moi, à travers mes 40 écrans, n'arrête jamais. Elle se transforme parce que la matière est totalement vivante, libre de tout geste, de toute parole, de toute action. Mes personnages sont vivants, humains et vivent des émotions. Ils n'ont de texte que ce qu'ils veulent bien raconter. Je ne les contrôle pas. Je ne peux pas leur mettre les mots dans la bouche ni leur dire quoi faire. C'est la réalité. 


Voilà où nous en sommes rendu en terme de création télévisuelle: à une nouvelle frontière où l’être humain devient la matière et la technologie, l'instrument. La création se fait en direct, sous pression, à une vitesse folle, sans texte, une seule fois. Toujours en mouvement, le scénario se modifie constamment parce que dans le loft, c'est la vie. La roue tourne et repousse sans cesse les limites créatrices. Le temps n'arrête jamais et donne mal au ventre. 


A tout moment, la réalité des personnages est bouleversée et moi, je dois réagir en trouvant immédiatement une nouvelle idée maîtresse qui gardera une structure narrative cohérente et progressive. Le beat d'une salle de nouvelles dans un format de dramatique, un récit qui repose sur la même structure qu'un téléroman. 54 fois, 15 heures par jour, 6 jours sur 7 pendant 63 jours. Boom! Bienvenue dans ma réalité!


Pierre Côté

Réalisateur-coordonnateur

Loft Story

Novembre 2003


MAJ Novembre 2020

C'était (Loft Story) vraiment la meilleure de toutes le séries de TV réalités EVER. Je dirais même qu’encore aujourd'hui, elle se démarque nettement par sa fluidité narrative et sa structure dramatique. Je sais de quoi je parle, c’est moi qui écrivait le scénario. 


Tous les efforts de mon équipe étaient maniaquement dirigés vers cette quête de capter en temps réel les scènes les plus significatives de la journée. Comme je l’ai écrit en 2013, “structurer un récit de 18 minutes avec 2 500 minutes de contenu. Pour faire un sens quotidiennement, la démarche artistique ne peut donc qu'être sérieuse. La réflexion rigoureuse, intense, sérieuse et organisée. L'intention chargée d'amour et d'émotion. Plus encore, elle doit être pure. humaine. novatrice. expérimentale. alternative.”


À mon avis, la qualité de l’original Loft Story est principalement due au fait qu’il n’y avait qu’un seul auteur qui “callait la shot”, de sorte que le contenu final, de part sa volonté et sa sensibilité artistique, pouvait se rapprocher beaucoup plus du format de la dramatique quotidienne. J’avais eu l’occasion d’en parler avec Fabienne Larouche et Guy A. Lepage à la cafétéria de Radio-Canada un peu avant la fin de la série et tous deux étaient parfaitement d’accord avec cette théorie. 


Si aujourd’hui la télé-réalité québécoise en générale, de ce que j’ai vu depuis mon retour d’Haïti, disparaît dans la masse télévisuelle, c’est surtout parce qu’elle est devenue un produit de variétés, tout simplement. L’organisation de la création du narratif étant devenu, pour le meilleur et pour le pire, surtout à cause de la pression insécure des diffuseurs, une affaire d’équipe et de vision collective. 


Pierre Gauvreau, Victor-Lévy Beaulieu, Fabienne Larouche, Luc Dionne sont tous de très grands auteurs dramatiques. J’aurais pensé que la télé-réalité québécoise aurait évolué dans le même sens et développée de nouveaux auteurs spécialisés dans cette nouvelle forme d’écriture contemporaine. Mais ce n’est pas arrivé. Dommage car moi j’y avais cru et surtout, rêvé.


Peu importe aujourd’hui en pleine pandémie, hier, nous étions les premiers, The Original Crew. The Real Shit.


Dommage que Loft Story, l’original, soit tombé dans l’oublie (on sait pourquoi) et récupéré, de manière opportuniste, après la tempête, par des petits producteurs régionaux compléxés, insécures, affamés de pouvoir, de prestige et d’argent.


Anyways, let go let god comme on dit dans les salles de meetings.

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